Force Ouvrière dénonce depuis longtemps la remise en cause des instances de gouvernance comme le Conseil Supérieur de la Marine Marchande. Outre le peu de considération des travaux et avis fournis par ces instances où siègent Etat, employeurs et syndicats, le gouvernement menace de les supprimer ou tout du moins les contourne ouvertement en créant des instances réservées aux employeurs.
C’est ce qui se passe progressivement au Conseil National Mer et Littoraux. Issue du grenelle de l’environnement, cette instance réunit Etat, responsables politiques, employeurs, syndicats et ONG.
Dans son intervention de janvier 2019, le ministre De Rugy a annoncé mettre le conseil en sursi: soit il coopère, soit il disparait.
Pour Force Ouvrière ce n’est pas accpetable.
Dans une démarche inédite, l’ensemble des organisations syndicales et ONG environnementales ont produit un courrier, à l’attention du ministre De Rugy et du Premier Ministre, dans le but de voir réaffirmé l’existence du CNML et la prise en compte des enjeux qu’il est censé porter, notamment sur les questions de dumping social dans le secteur maritime.
Une telle instance, lorsque les enjeux sociaux et environnementaux n’ont jamais été aussi sensibles, est indispensable. La contourner revient ni plus ni moins qu’à abandonner environnement et acquis sociaux à l’économie de marché.
Texte du courrier commun
Monsieur le Ministre d’État,
Le Conseil National de la Mer et des Littoraux (CNML) est un acquis du Grenelle de la Mer de 2009 avec une gouvernance à cinq à laquelle nous sommes attachés. Après une importante concertation des acteurs, il a permis dedéboucher sur un document d’orientation, la stratégie nationale de la mer et des littoraux, bénéficiant d’un consensus élevé.
Les Ateliers de réflexion du CNML des 24 et 25 avril 2019 à Paris ont confirmél’importance de cette gouvernance à cinq qui permet l’expression des trois
dimensions d’un développement durable de toutes les activités liées à la mer etau littoral.
Pour leur part, les représentants des organisations syndicales et des ONGenvironnementales mais également d’autres membres du CNML ou des ConseilsMaritimes de Façade (CMF) et des Conseils maritimes de bassin dans lesoutremers (CMB) ont rappelé qu’il ne pouvait pas y avoir aujourd’hui dedéveloppement économique sans une prise en compte effective des volets sociaux et environnementaux, à toutes les échelles et dans la concertation.
Une périodicité annuelle de ces ateliers, ainsi que leur préparation en amont dans les Conseils Maritimes de Façade (CMF), les Conseils maritimes de bassinultramarins et à d’autres échelles territoriales, faciliteraient l’implication desdifférents acteurs.
Les organisations syndicales et les ONG environnementales signataires souhaitent voir apparaître dans les conclusions présentées à l’Assembléegénérale du 17 juin 2019 les priorités suivantes :
1. Sur la gouvernance de la Mer et du Littoral
– La reconnaissance de trois échelons (national, façade, régional) pour la gouvernance de la mer et du littoral.
– La reconnaissance à toutes ces échelles de la gouvernance à cinq en donnant des moyens aux Organisations Syndicales (OS) et ONG environnementales pour permettre leur participation.
–
Une participation égale entre les acteurs économiques, les organisations syndicales et les ONG environnementales au sein du
CNML, des CMF, des comités de bassin et des conseils de gestion des
parc naturels marins.
Ce rééquilibrage doit permettre la création d’un collège « usagers de la mer » au sein du CNML
– Des réunions plénières du CNML tous les trimestres et des bureaux élargis plus fréquents avec un remboursement dans un délai raisonnable des frais de déplacement.
– La facilitation des désignations et des participations dans les CMF, CMB et au CNML.
– Un soutien renforcé à la recherche avec une cartographie de la recherche publique et privée, fondamentale et appliquée, marine et maritime.
2. Sur les considérations sociales et environnementales de la politique maritime
Nous faisons le constat que les économies marines et maritimes ont des conséquences sociales et environnementales parfois désastreuses. Il nous semble essentiel que les politiques industrielles sur les domaines littoraux et maritimes garantissent des impacts environnementaux maitrisés ainsi que des emplois de qualité et du développement local.
La lutte contre le dumping social et environnemental se mène à toutes les échelles :
À l’échelle internationale :
L’extrême libéralisation du secteur maritime et sa faible régulation engendrentdes conditions de concurrence déloyale avec des risques pour la santé de l’océanet qui ne permet pas une transition juste, deux objectifs pourtant inscrits dans
l’Accord de Paris. Il est indispensable que la France œuvre à harmoniser et éleverles standards sociaux et environnementaux.
Cela suppose :
– d’améliorer et appliquer les meilleures dispositions concernant les conditions d’emplois et de protection sociale des marins vial’amélioration de la MLC 2006. En effet, les métiers du maritime sontsouvent pénibles et exposés à de nombreux risques et dangers(surexploitation, piraterie…).
– d’intensifier la lutte contre les pavillons de complaisance souvent assimilable à des paradis fiscaux au niveau de l’Organisation MaritimeInternationale (OMI).
– D’intensifier la transition écologique des navires en portantactivement : la mise en œuvre de mesures pour atteindre la réductiondes émissions de CO2 des navires à hauteur de 50% pour 2050 ens’assurant que cet objectif permette de bien atteindre les objectifs del’Accord de Paris ; la création d’un corpus normatif propre à ladéclaration de pertes de conteneurs mais aussi la prévention de leur
perte.
– que la France assume son statut de deuxième Zone EconomiqueExclusive du monde en portant la voix de l’Océan lors des grands évènements internationaux (Our Ocean, G7, COP…) ;
Un haut niveau de standards sociaux et environnementaux au sein de l’espace maritime communautaire, incontournable pour bon nombre d’armateurs, participera aussi à l’amélioration souhaitée au niveau international.
À l’échelle européenne
Pour lutter contre les situations de concurrence déloyale au sein de l’Unioneuropéenne, il est devenu indispensable de définir un espace maritime européen en harmonisant les règles, avec la mise en place de standards sociaux de haut niveau, par exemple un salaire minimum supérieur aux niveauxobservés. Ainsi, la proposition d’harmonisation des règles sociales pour les lignes régulières intra-européennes dans le transport de passagers apparaît comme un axe fort.
La lutte contre le dumping social dans les eaux européennes ne peut pas se concevoir sans une politique de contrôle ambitieuse. La directive contrôle Maritime Labour Convention (MLC) et le « Memorandum de Paris » (Paris MoU)sont deux leviers d’action. Plusieurs pistes sont envisageables : priorisation des règles sociales, ne plus lier le contrôle à la plainte, focus sur le contrôle del’effectif minimal, créer une liste noire des navires ne respectant pas les normesenvironnementales ni les normes sociales de la MLC 2006 et interdire l’accès auxports UE après un certain nombre de délits.
Cela implique une intensification des contrôles à tous niveaux dans les ports pour tous les navires, ce qui devra entrainer une augmentation très importante des Port State Control (PSC).
La commission européenne vient de relever le retard de transposition pour 1/3 des Etats membres concernant la directive relative au démantèlement des navires. La France se doit d’être un exemple sur ce plan et user de la diplomatie auprès des autres Etats membres de l’UE pour que cette situation ne perdure pas.
La mise en œuvre de la Directive cadre stratégie pour le milieu marin (DSCMM)
doit être élevée au rang de priorité. La Commission européenne, dans son rapport de juillet 2018, a déjà alerté sur la très faible probabilité d’atteindre le bon état écologique d’ici 2020 au regard de l’application du 1er cycle de laDirective cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM). Lutter contre lespollutions des navires est une façon de se donner les moyens d’arriver àaccomplir ces objectifs. Cela implique de ratifier les conventions internationales de l’OMI relatives à la préservation de l’environnement.
La planification de l’espace maritime européen doit être basée sur une approche écosystémique comme l’exige l’article 5 de la Directive-Cadre sur la Planification des Espaces maritimes (DCPEM).
Au niveau national
– Harmoniser les standards sociaux des registres français en élargissant lechamps d’application du code des transports aux territoires ultramarins.
– Mettre fin à la concurrence déloyale en rehaussant et en harmonisant les pavillons européens.
– Rétablir un principe de concurrence à armes égales, avec l’application du cadre réglementaire identique au Pavillon 1er registre, sous contrats
d’engagements maritimes français, pour toute activité établie en ligne(s)régulières(s) en cabotage national comme entre des ports nationaux.
– Faire valoir un principe d’équivalence pour ne pas laisser s’installer desactivités régulières ayant des niveaux de prélèvements sociaux inférieurs à ceux de l’Etat d’accueil.
– Pêches : accompagner les transitions environnementales et sociales (C188, convention du travail à la pêche, 2007), particulièrement pour la pêche artisanale.
– Améliorer les conditions sociales des marins et la préservation de leur régimede protection sociale, en particulier : l’Etablissement national des Invalidesde la Marine (ENIM).
Relever le niveau d’ambition des objectifs environnementaux des documents stratégiques de façade. Certains objectifs présentent un niveau d’ambition très en deçà des propositions initiales et sont en contradiction avec d’autrespolitiques de protection de l’environnement, allant même parfois jusqu’à remettre en cause l’atteinte du bon état écologique.
3. Sur la formation avec la prise en compte de l’environnement
– Améliorer la formation initiale des marins tant officiers que Personneld’Exécution (Pex).
– Appliquer des standards supérieurs aux marins européens en matière de formation (revoir la directive 2009/13 qui transpose la MLC et reprend les standards minimaux de la convention) avec la création d’un Standards of Training, Certification and Watchkeeping Plus (STCW+) européen afin de permettre aux marins (officiers et Pex) de l’UE de se repositionner sur le marché international avec des compétences accrues. Il doit être créé une MLC européenne qui prendra en compte les conditions sociales des pays les mieux disant.
– Meilleure coordination au niveau européen pour la revalidation des titres et brevets, par exemple en mettant en place des passerelles entre États- membres (exemple de la France et de la Belgique). Une harmonisation au niveau des écoles maritimes européennes permettrait de réduire les
situations de dumping social.
– Intégrer dans les futures formations maritimes un module environnemental
pro-océan plus soutenu.
4. Améliorer la sécurité des navires
Cela suppose des moyens humains renforcés pour les services affaires maritimes en charge des visites périodiques (centres de sécurité des navires (CSN) des DIRM) et des contrôles en mer (dispositif de contrôle et de surveillance (DCS)
des Direction Inter-Régionale de la Mer et Délégation Mer et Littoral des Direction Départementale des Territoires et de la Mer) :
– multiplication des contrôles de l’état du port
– arrêt de la privatisation et du passage à l’autocontrôle d’une partie des
contrôles menés par les CSN
– contrôle du chargement des conteneurs
De manière générale, les moyens de contrôle public (affaires maritimes,gendarmerie, douanes, marine nationale…) sont à renforcer.
5. La mise en place concertée d’aires marines protégées (AMP) gérées et efficientes sur le plan écologique
– Ce réseau d’AMP doit comprendre au moins 10% de zones de protection forte dans les bassins ultramarins et sur les façades métropolitaines, ce qui nécessite des moyens humains et financiers suffisants et une gouvernanceéquilibrée pour s’assurer de la bonne gestion des parcs naturels marins et des obligations liées à la désignation « sites Natura 2000 en mer » ou d’autres aires marines protégées, sans oublier l’Outre-Mer où le décalageobjectifs/moyens est encore plus important alors que s’y concentre la grandemajorité de la biodiversité.
– Maintien d’une direction maritime et d’un pôle marin au sein de l’OFB.
6. Politique industrielle : filières maritime et portuaire
– Allouer des moyens plus importants à la recherche et aux différents organis mes publics experts scientifiques et techniques.
– Renforcer le rôle des ports, réaffirmer leur ambition industrielle et promouvoir le caractère multimodal des ports maritimes et fluviaux.
– Assurer les conditions pour permettre le démantèlement des navires sur
toutes les façades maritimes dans le cadre d’une économie circulaire
favorisant la valorisation des matériaux et les circuits courts.
– Faciliter le développement d’une filière énergétique et industrielle desénergies marines renouvelables tout en limitant les atteintes sur le milieu naturel à un niveau acceptable par une meilleure prise en compte dans laProgrammation Pluriannuelle de l’Energie (volume éolien posé et flottant) en
veillant à une bonne intégration d’exigences sociales et environnementales.
Les organisations syndicales et des ONG environnementales demandent que ces différentes propositions soient prises en compte au niveau de la politiquemarine et maritime de la France et fassent l’objet de décisions du CIMER 2019.