CSA des DDI du 6 novembre 2025
Déclaration de FORCE OUVRIERE (à retrouver en format audio ICI)
Du pilotage par le sens au « management du bras tordu » de l’ATE
Monsieur le Président
Mesdames, messieurs,
Chers camarades,
Force Ouvrière souhaite, à l’ouverture de ce CSA des DDI, exprimer sa plus vive préoccupation face à l’accumulation des signaux alarmants envoyés ces derniers mois aux agents de l’État territorial.
Ce comité se réunit dans un contexte d’appauvrissement structurel de l’action territoriale de l’État (ATE) :
– par une concentration excessive des pouvoirs préfectoraux, virant à la caricature,
– une austérité budgétaire persistante aggravée par les perspectives tracées par le PLF 2026 pour les agents publics et leurs effectifs,
– une désorganisation croissante de la chaîne RH remettant en cause même la fiabilité de la paye,
– une attaque contre l’action sociale au bénéfice des agents, en particulier l’aide à la restauration.
Une dérive préfectorale contraire à l’esprit républicain
Les décrets du 30 juillet 2025 sur les « pouvoirs des préfets », arrêtés du 20 août 2025 sur la déconcentration de gestion des agents des DDI et DR et circulaire posthume du Premier ministre Bayrou du 5 septembre 2025 constituent un véritable tournant dans l’histoire de l’administration territoriale de l’État, et plus largement de la chaîne de portage des publiques nationales, qui ne le seront donc bientôt plus.
Sous couvert de « relance de la déconcentration », ces textes installent une recentralisation verticale sans précédent, confiant au préfet un rôle de chef de file unique, la main sur les nominations, les évaluations, les rémunérations variables et même la parole publique, et ce pour le niveau départemental et régional de l’État ainsi que la plupart des opérateurs.

FO/DDI s’appuie sur l’étude d’impact (consultable ICI) que nous remettons ce jour en séance, intitulée « Du pilotage par le sens au management du bras tordu », pour souligner la gravité de ce basculement institutionnel.
Cette circulaire substitue à la gouvernance par la confiance un management infantilisant, où chaque responsable local devient l’exécutant d’une autorité qui pense à sa place. Le nouveau mot d’ordre implicite de l’ATE devient : « Je pense, donc tu suis. ». Ce qui, pour un État moderne censé piloter par le sens, sonne comme un paradoxe managérial majeur et une régression démocratique.
Comme le souligne notre étude d’impact, « le préfet devient le filtre unique entre les ministères et le terrain », instaurant un système de dépendance verticale incompatible avec la neutralité et la technicité qui fondent l’État républicain. Il y a quelques mois, le ministre chef suprême des préfets nouveau chefs suprêmes de l’État s’exprimait publiquement pour dénoncer le fondement même de politiques environnementales ou sociales portées en DDI, ou encore pour retirer le statut de fonctionnaires à leurs agents puisqu’ils ne faisaient pas partie des « forces de l’ordre ». Cela fait froid dans le dos !
Ce modèle du « bras tordu » repose sur la loyauté au chef plutôt que sur la compétence, et met fin à toute forme de co-construction interministérielle.
Les éléments de langage autour de « l’efficacité de portage des politiques » ne trompent personne puisqu’il s’agit bien là d’une question de pouvoirs, le titre des décrets du 30 juillet 2025 en étant la meilleure preuve !
FO/DDI refuse de s’inscrire dans cette lutte de pouvoirs, et place son expression et son action autour de la défense du service public égalitaire au plus près du territoire et du citoyen.
Une déprofessionnalisation et une déresponsabilisation des services
Le dispositif place les préfets juges et parties de la mise en œuvre des politiques publiques, concentrant les leviers RH, budgétaires et communicationnels sans contrepoids.
Les encadrants sont désormais évalués selon des critères extérieurs à leur cœur de métier, et les directeurs perdent toute autonomie dans la fixation de leurs objectifs.
La conséquence est immédiate : perte de sens, autocensure, effacement de la technicité, comme le décrit la synthèse de l’étude remise ce jour.
L’étude montre que cette chaîne managériale sous tutelle préfectorale crée une discontinuité de la parole de l’État : chaque rotation préfectorale — en moyenne tous les deux ans — efface les orientations précédentes.
Les collectivités, les opérateurs, les associations ne disposent plus d’un interlocuteur stable, et les agents doivent s’adapter à des priorités fluctuantes, souvent déconnectées des stratégies ministérielles.
Cette instabilité chronique est la négation même de la continuité du service public.
Des impacts RH et sociaux préoccupants
Les risques psychosociaux appelés à se renforcer : les cadres se retrouvent sous pression hiérarchique permanente, privés de marges de manœuvre et de reconnaissance.
Les agents, quant à eux, voient leurs missions perdre leur sens, leur utilité publique et leur attractivité.
Les recrutements deviennent impossibles, le désengagement s’installe, et les départs s’accélèrent.
Les postes de l’ATE se vident de sens, et les agents pour la plupart entrés dans la fonction publique pour porter les valeurs de leur ministère perdent tout intérêt au travail.
Un État localement hypertrophié dans les affichages mais institutionnellement affaibli
Le paradoxe est total : sous couvert de « déconcentration », on assiste à une recentralisation napoléonienne.
Le préfet devient l’unique incarnation de l’État dans le département, au détriment des services techniques, des opérateurs et des directions ministérielles.
Ce modèle favorise une communication verrouillée, où seule la parole préfectorale est autorisée, effaçant les expertises et les responsabilités partagées.
FO/DDI alerte : cet effacement de la collégialité et cette infantilisation de la chaîne managériale conduisent à une perte d’intelligence collective et à un affaiblissement durable de la qualité des politiques publiques.
Pour un État présent, pertinent et cohérent à tous les étages de la République
FO/DDI appelle solennellement à un moratoire sur la mise en œuvre de la circulaire du 5 septembre 2025, à la réouverture d’une réelle concertation avec les organisations syndicales, et à une réelle consultation des instances concernées tirant les conséquences de leur avis.
L’État territorial ne doit pas être l’addition de féodalités locales, mais le reflet d’une action publique cohérente, collégiale et durable.
Nous demandons :
– le rétablissement d’un pilotage interministériel équilibré, garant du respect des compétences techniques et ministérielles ;
– la restauration des moyens en effectifs des DDI au niveau de 2010, dans l’intérêt même des préfets dans l’exercice de leur prérogatives sans devoir aller piller les directions régionales et opérateurs;
– et la reconnaissance du rôle central des agents, qui incarnent la continuité et la crédibilité de l’État dans les territoires.
L’État dans le département n’est pas le préfet seul : c’est l’ensemble des agents, des missions et des valeurs républicaines qu’ils incarnent chaque jour, en interface et complémentarité avec les directions régionales et établissements publics et non en opposition ou prédation.
Ce que FO/DDI porte ici va dans l’intérêt même des Préfets, menacés à leur insu d’être transformés en homme ou femme-orchestre croulant sous les sujets à traiter en direct, concentrant des responsabilités impossibles à assumer, perdant le recul nécessaire au pilotage de politiques publiques de moyen et long termes.
Budgets, effectifs, chaîne RH et action sociale : sujets majeurs !
Pour ce qui est des autres points inscrits à l’ordre du jour, et sur lesquels nous reviendrons plus précisément dans les débats de cette instance, nous pouvons d’ores et déjà vous donner quelques éléments permettant de planter le décor :
– Budgets de fonctionnement et immobilier : si hausse il y a, elle doit être effective et palpable par les agents des DDI et des DR. FO demande une transparence et une traçabilité au niveau national et local via les comités de suivi SGCD.
– Gestion RH : déconcentrer la gestion des agents dans des services déjà fragiles, en complexifiant la chaîne paie déjà perfectible, c’est prendre un gros risque.
– Aides à la restauration : face à la gravité des situations locales, nous vous avons saisi en début d’été, nous avons demandé à être entendus par la mission d’inspection, nous avons transmis nos éléments d’état des lieux à la rentrée…et nous constatons un black-out total ! FO/DDI refuse d’être mise à l’écart de la nécessaire transparence sur l’affectation des crédits versés par nos ministère, au niveau local et national. Et nous profitons de l’ouverture de cette instance pour vous remettre la pétition des agents de l’ATE en Corse.
Enfin, concernant les effectifs d’inspecteurs du Permis de Conduire : FO/DDI apporte son soutien plein et entier à la mobilisation du SNICA-FO, en intersyndicale avec les Organisations des auto-écoles, et à leurs revendications. La suppression du service national, la réforme des 35h et l’accroissement de la démographie n’ont jamais été compensés par du recrutement. Seules des mesures catastrophiques de privatisations, qui ont généré des fraudes massives, ont été prises, sans que cela produise l’effet escompté. Il est grand temps de fournir au service public du permis de conduire les effectifs nécessaires pour réduire les délais d’attente à l’examen, afin que les jeunes puissent accéder à la mobilité, et à l’emploi, sans entrave. Les besoins actuels correspondent à un recrutement de 150 IPCSR et 20 DPCSR, qui peut parfaitement être financé, par exemple en ponctionnant le budget communication de la DSR, ce dernier étant démesuré au regard de ce qui est alloué à l’éducation routière.
Je vous remercie.